APE : Le Cameroun signera, mais…
L’Accord de Partenariat Economique (APE) est une nouvelle vision des liens
économiques entre l’Union Européenne (UE) et les 79 pays d’Afrique, Caraïbes et
Pacifique (ACP). Cette vision tire les leçons des Accords de Cotonou (2000) qui
permettaient l’accès préférentiel des produits Africains en Union Européenne.
Les pays ACP n’en n’ont pas visiblement tiré profit d’autant qu’au cours de la
période, les exportations de ces pays ont décru de 7 à 3 %.
Les APE se négocient
entre l’Union Européenne et les Communautés économiques régionales (CER) des
ACP. En Afrique centrale, c’est avec la CER qu’est la CEMAC que l’UE négocie.
Au regard des points de désaccord, notamment sur le pourcentage d’ouverture des
marchés de l’Afrique centrale, l’UE a un paraphe d’APE intérimaire avec le
Cameroun depuis 2007, accord signé en 2009 et en attente de ratification.
C’est sur cette ratification (comme tout
accord international signé par le Cameroun) avant 2014 que l’UE presse le Cameroun sous la menace de
lui appliquer le Système de préférences
Généralisées (SPG) qui défavoriserait spécialement les exportations de
la banane Camerounaise vers l’Europe, en la mettant en concurrence rude avec la
« banane dollar » sud-américaine. Cette banane est
plus compétitive qu’une banane
camerounaise payant les droits d’entrée dans les marchés de l’UE.
L’idée derrière les APE est donc que l’ouverture unilatérale
du marché Européen aux Africains et Caribéens ne leur à pas permis d’accroître
les échanges commerciaux ; la fin de ce régime de « faveurs » est
supposé les rendre plus compétitifs. La rigueur, ou plus précisément la
réciprocité commerciale, conforme par ailleurs aux règles libérales de l’OMC
peut en effet donner de l’appétence à la compétence et donc à la compétition dans
les pays d’Afrique, mais il ne faut pas s’illusionner : cesser de donner
du poisson à quelqu’un qui a faim pour lui demander de pêcher (faire le
commerce international) lui-même est judicieux, à condition que l’individu
concerné sache pêcher (faire le commerce international). Ce qui n’est pas le
cas (encore) pour un pays comme le Cameroun, et c’est ces insuffisances de
l’économie et des industries des biens et services du Cameroun qui épouvantent l’opinion
publique, ou plus exactement quelques observateurs avisés. Malgré en effet les
mesures « compensatoires » accordées par l’APE intérimaire du
Cameroun (exclusion de certains produits agricoles ou transformés, moratoire
dans l’exécution de l’accord, Fonds compensatoires, ouverture à 80% du marché
Camerounais…), le Cameroun verra ses recettes douanières s’éroder
considérablement. L’Etat perdra là de substantiels moyens d’intervention en
appui à ses options de développement.
A l’inverse, les produits Camerounais
auront du mal à entrer en Europe, à cause d’un faisceau obstacles techniques au
commerce (OTC). Dans les OTC, on intègre le non respect des normes et des
standards européens, le passage à la trappe des mesures SPS (sanitaires et
phytosanitaires). Les domaines où pourraient nicher l’expertise et l’excellence
camerounaises (avantages comparatifs) comme les aliments spécialisés,
l’artisanat, la décoration sont peu industrialisés, normés, standardisés, avec
des coûts de production élevés pour une
production erratique. Le poivre de Penja par exemple, malgré son label, et sa
qualité unique au monde, pourrait être
refoulé du marché européen à cause d’une quantité maximale d’un métal, d’un
insecticide, d’un emballage contaminant…
Pour emprunter une image au
football, c’est un peu comme si une équipe entrait dans un terrain sans gardien
de buts, mais surtout sans buteur. Le ballon va circuler sur le terrain, mais
les buts entreront dans un sens unique.
Il y a enfin un danger à l’ APE, c’est l’effet de
« détournement de trafic régional » qu’il peut induire pour les
échanges en zone Cemac dont le Cameroun est le principal exportateurs de biens
de consommation. Des initiatives parallèles comme le Nepad ou l’Agoa qui misent
sur la densification des échanges intra-régionaux avant l’abord de grands
marchés (américain pour l’Agoa) pourraient être en bute aux revers structurels
de l’ APE intérimaire du Cameroun.
Malgré son caractère léonin de fait, au-delà de la bonne
volonté de l’Union Européenne à en minimiser les impacts, le Cameroun ratifiera
probablement son APE intérimaire. Il n’en peut mais. Economiquement à cause de
la banane camerounaise qui est sa production agricole la plus importante en
valeur à l’export, et l’une des plus importantes en tonnage (près de
1 400 000 tonnes en 2011). Politiquement parce que l’APE intérimaire
est un processus politique qui date de depuis 2007. En prenant l’engagement
politique de parapher cet accord il y a six ans, sans attendre les autres pays
de l’Afrique centrale, le Cameroun a lancé le compte-à-rebours d’une signature…
inéluctable.
François Bimogo
Expert en chaînes de valeur agricoles et commerce international